Auteur/autrice : Rémy Gerl

  • Critique : Tardes de soledad d’Albert Serra

    Critique : Tardes de soledad d’Albert Serra

    Tardes de soledad

    Albert Serra

    Genre : Documentaire
    Durée : 2h 05min
    Sortie en salles : 26 mars 2025
    Sortie en (S)VOD/support physique : 9 août 2025

    Pour aborder un film, il suffit d’observer deux choses : ce qu’il choisit de montrer, et ce qu’il décide de cacher. Pour son premier long-métrage après un Pacifiction (2022) en équilibre entre naturalisme et onirisme, Albert Serra reste fidèle à son dispositif de tournage continu en multi-caméras mais sacrifie le plan large au profit du gros plan. Au cours des deux heures que dure Tardes de soledad (2025), l’arène de corrida – pourtant au cœur du film – ne nous est jamais donnée à voir dans son ensemble. Le public, relégué à l’arrière-plan, n’est qu’une bande sonore générée par le spectacle de l’image. Il en va de même pour les scènes de trajets en voiture du toréador Andrés Roca Rey : adulé par une foule de spectateurs, il reste isolé par des parois occupant plus de la moitié du cadre. Ce n’est que lors d’un court plan subjectif que l’on apercevra l’autre monde, sans toutefois y poser les pieds. Le titre du film, se traduisant par Après-midis de solitude, prend alors tout son sens.

    Tardes de Soledad (c) Dulac Distribution

    Le gros plan est une cage étroite, un étau qui se resserre autour du taureau et du toréador. Quand l’un parvient à passer hors-champ, on le croit naïvement libéré de la mort… mais inévitablement, l’autre revient, prêt à frapper à nouveau. La grandeur de Tardes de soledad réside à la fois dans l’idée d’un perpétuel cycle de la violence mais aussi dans cette philosophie chère à David Lynch : l’horreur est la plus frappante lorsqu’elle sévit à la frontière du visible.

    Tardes de Soledad (c) Dulac Distribution

    Jetés dans la gueule du loup, nous assistons à ce spectacle macabre comme si on y était. Le sable, le sang, la chair des corps en mouvement nous sont donnés à voir dans leurs moindres détails. On prend ainsi mesure de cette danse funèbre dans toute son ampleur : la précision et l’agilité d’Andrés Roca Rey, la violence qu’il génère chez le taureau et, bien sûr, les blessures qui en résultent. D’un plan à l’autre, on passe d’une fascination pour la performance de l’humain dominant à une empathie horrifiée envers l’animal torturé. En refusant de prendre le parti de l’un ou de l’autre, Albert Serra nous perd à travers nos propres émotions – comme si l’arène était un espace métaphysique où le spectateur n’avait pas sa place. Ce n’est qu’une fois sorti de cette spirale de violence et de solitude que l’on pourra tenter d’interpréter ces images dans toute leur ambivalence. Allons-nous défendre le taureau, injustement privé de liberté puis de vie ? Serons-nous séduits par le courage de l’humain ? Ou resterons-nous désorientés, incapables de trancher ? Quelle que soit notre réponse, Serra accomplit une nouvelle fois ce que le cinéma peut offrir de plus beau : convoquer l’humanité dans l’obscurité pour lui faire ressentir, à travers un seul et même spectacle, des émotions aussi fortes que multiples.

  • Dans mon baladeur #1 – février/mars 2025

    Dans mon baladeur #1 – février/mars 2025

    En février m’est venue l’idée de résilier mon abonnement à Apple Music. « Pourquoi ? » s’étonneront certains, après m’avoir entendu vanter les mérites de la plateforme durant des années. L’objectif n’est pas d’aller trouver mieux chez la concurrence (encore faut-il que cela existe) mais de me libérer du modèle économique du streaming. Après tout, pourquoi dépenser 10,99€ par mois pour ne découvrir, en moyenne, que cinq albums par mois ? Pourquoi payer pour réécouter des albums que je possédais déjà, ou prévoyais de posséder ?

    Cela dit, ce changement d’habitudes entraîne quelques contraintes : d’abord celle de devoir moi-même récolter mes fichiers musicaux, puis celle de ne plus recevoir les fameux récapitulatifs mensuels et annuels de mes écoutes. Mais après tout, si c’est à moi de façonner ma propre bibliothèque musicale, pourquoi ne pas créer mes propres bilans d’écoute ?

    C’est dans cette optique que je vous propose cette série d’articles musicaux, que je baptise Dans mon baladeur en référence à la liste SensCritique de mon cher éclaireur temet-nosce. À chaque article, je vous partagerai mes albums préférés des deux derniers mois – qu’il s’agisse de découvertes ou de réécoutes.

    Au programme de cet épisode N°1 :

    1. Réécoute : King Crimson, l’heure des retrouvailles
    2. Découverte : Le virage pop-rock des Cure
    3. Réécoute : La révélation To Pimp A Butterfly
    4. Coup de cœur : Sigur Rós, musique du paradis

    Réécoute

    King Crimson, l’heure des retrouvailles

    In The Court Of The Crimson King

    King Crimson

    Genre : Rock progressif
    Durée : 44min
    Sortie : 1969

    En explorant la musique à la recherche de nouvelles expériences sonores, on finit souvent par s’éloigner de ses anciens coups de cœur. Si ma tendance à beaucoup réécouter mes albums préférés m’aide à ne pas les oublier, l’un deux est malgré tout passé entre les mailles du filet : le pionnier du rock progressif, In The Court Of The Crimson King.

    Réécouter cet album pour la première fois depuis au moins deux ans m’a donné la sensation de revenir à la maison : je me souvenais de tout, mais j’avais oublié à quel point je m’y plaisais.

    J’ai oublié ce mariage si harmonieux, si évident et pourtant si étrange entre rock et sonorités médiévales (flûte, chœurs). Oublié à quel point le jeu de batterie de Michael Giles me sidérait. Oublié l’état de galvanisation que me procurait Epitaph et la façon dont Greg Lake scande « Yes I fear tomorrow, I’ll be crying ». Oublié comment la douce ballade de Moonchild savait me bercer, et comment sa phase instrumentale improvisée savait m’endormir, puis me faire rêver. Oublié la majestuosité que dégageait The Court Of The Crimson King à chaque écoute…

    Ce n’est sans doute pas la dernière fois que je perdrai de vue cet album. Mais une chose est sûre : inévitablement, j’y reviendrai.

    Découverte

    Le virage pop/rock des Cure

    Kiss Me Kiss Me
    Kiss Me

    The Cure

    Genre : Rock new wave, pop
    Durée : 1h 14min
    Sortie : 1987

    Sept ans après avoir exorcisé leurs douleurs dans leur « trilogie glacée » (Seventeen Seconds, Faith et Pornography, sortis en l’espace d’un peu plus de deux ans), les Cure s’orientent vers un registre pop. Leur rock tourmenté est encore présent (The Kiss) mais il côtoie ici des morceaux à la légèreté assumée (Catch). Un équilibre que le groupe ne parvient pas toujours à maîtriser, proposant des gimmicks ringards dans Fight, Why Can’t I Be You ou Torture – dont la rythmique a toutefois le mérite de préfigurer la superbe chanson Disintegration. Heureusement, les réussis If Only We Could Sleep, The Snakepit, All I Want et A Thousand Hours nous empêchent d’affirmer que le groupe s’est définitivement enfermé dans un registre qui n’est pas le sien.

    Réécoute

    La révélation To Pimp A Butterfly

    To Pimp A Butterfly

    Kendrick Lamar

    Genre : Hip-Hop/Rap US
    Durée : 1h 19min
    Sortie : 2015

    Voilà maintenant huit mois que j’ai découvert le cultissime To Pimp A Butterfly, mais ce n’est que récemment que j’ai su l’apprécier à sa juste valeur. Il faut dire qu’à la première écoute, cet album est particulièrement difficile à digérer de par sa durée de plus d’une heure (!), la densité de ses textes et la richesse de sa production, à la croisée des genres afro-américains (hip-hop, jazz, funk, soul…) Rien que le morceau d’ouverture, Wesley’s Theory, nous en met plein la vue grâce au flow fédérateur de Kendrick et au fabuleux jeu de basse improvisé de Thundercat.

    L’album a beau être long, aucun titre ne se ressemble : on navigue entre trip introspectif (King Kunta), free-jazz (For Free?), discours intense de rancœur sur la condition noire (The Blacker The Berry) et légèreté et optimisme (i) avant de poétiquement conclure sur un échange avec Tupac, où la musique traverse le temps (Mortal Man).

    En seize morceaux, Kendrick et ses invités nous proposent un véritable voyage à travers la culture afro-américaine. Un projet ambitieux, presque casse-gueule… et pourtant, chaque son, chaque parole semblent s’accorder avec une telle évidence, une telle justesse. C’est aussi à ça que l’on reconnaît les grands : cette capacité de donner vie à des œuvres qui nous paraissent essentielles, mais que l’on n’oserait ni ne pourrait imaginer.

    Coup de cœur

    Sigur Rós, musique du paradis

    À la table de mes artistes préférés, Sigur Rós s’assoit facilement aux côtés de Massive Attack, The Cure, The Beatles, Ryo Fukui et même Radiohead et Pink Floyd. C’est dire le coup de cœur ! Or, le paysage musical dessiné par les islandais me paraît encore plus singulier : c’est simple, je n’avais rien entendu de tel.

    Quand la mélodie de Vaka, morceau d’ouverture de l’album ( ), est parvenue à mes oreilles, j’ai senti ma vision de la musique s’étendre. Comme si, à mesure qu’ils jouaient, ces quatre islandais repoussaient les frontières de la musique et lui créaient une forme nouvelle. Une forme aussi belle qu’indescriptible, à la portée émotionnelle inégalable…

    Écouter Sigur Rós, c’est sentir la musique s’emparer de notre âme et l’envoler jusqu’au septième ciel. C’est se sentir planer entre les notes, libre comme l’air.

    Ágætis byrjun

    Sigur Rós

    Genre : Post-Rock
    Durée : 1h 12min
    Sortie : 1999

    Valtari

    Sigur Rós

    Genre : Post-Rock, Ambient
    Durée : 55min
    Sortie : 2012

    Ce son à la grâce céleste, les islandais ont su le renouveler tout au long de leur carrière. Entre Ágætis byrjun et Valtari, c’est le grand écart : l’un brille par sa richesse sonore en parfait équilibre entre rock, touches de jazz et envolées d’orchestres à cordes tandis que l’autre s’avère plutôt lent, sobre, apaisant et contemplatif. Dans les deux cas, la mission du groupe reste la même : nous faire voyager et rêver.

    Si ces deux albums ont été une révélation pour moi, il y en a un qui réussit à me toucher bien plus profondément : le fameux album des parenthèses, sorti en 2002.

    ( )

    Sigur Rós

    Genre : Post-Rock
    Durée : 1h 12min
    Sortie : 2002

    À mes yeux, cet album est bien plus que de la musique : c’est un voyage aux destinations infinies. À chaque écoute, je sais avec certitude que peu importe mon humeur, mon état d’esprit et mon imagination, ces huit morceaux me transporteront. Je traverserai la joie et la mélancolie, l’émerveillement et le désespoir ; le réconfort et la solitude, la paix et la violence.

    Vaka me montrera les portes du paradis s’ouvrir, Fyrsta me glacera de sa mélancolie et Samskeyti me submergera dans son envoûtante mélodie. Njósnavélin m’apaisera tel le calme avant la tempête, tandis qu’Álafoss et E-Bow instilleront le chaos, ne laissant derrière eux que l’aura funèbre de Dauðalagið. Enfin viendra le climax de Popplagið, jaillissant violemment tel le magma des volcans, devant lequel je me sentirai infiniment petit et vulnérable.

    Avec ces huit morceaux, Sigur Rós nous permet de tout voir, de tout ressentir. De tout imaginer.

    Les grandes œuvres ont en commun de réussir à transpercer l’enveloppe charnelle de l’Homme pour toucher son âme, mais ( ) va au-delà : il l’hydrate d’une eau pure née de la source intarissable que pourrait représenter la pochette.

    Parmi les quelques centaines d’albums que j’ai pu écouter, seul celui-ci a accompli la prouesse à laquelle l’Art semble pourtant destiné : ouvrir une parenthèse infinie pouvant tout contenir.


    Je vous recommande aussi…

    Hvarf
    Sigur Rós

    Premier disque du double-album Hvarf-Heim. Les trois premiers morceaux sont des raretés jamais sorties, les deux derniers des réorchestrations de titres existants.
    Heim
    Sigur Rós

    Second disque du double-album Hvarf-Heim. Contient six versions live acoustique de certains des plus beaux titres du groupe. Une belle porte d’entrée pour découvrir Sigur Rós dans ses premières années.
    Modern Vampires Of The City
    Vampire Weekend

    Ne vous fiez pas à cette pochette en noir et blanc, elle cache en vérité une musique pop, solaire et parfois doucement chaotique. Obvious Bicycle, Step et Ya Hey sont particulièrement beaux.
    Keystone 3
    Art Blakey And The Jazz Messengers

    Les réécoutes le confirmeront sans aucun doute : c’est un de mes nouveaux albums favoris du jazz.
    Speaking In Tongues
    Talking Heads

    Des chansons funky et colorées qui rappellent les années 80 de David Bowie (sans toutefois prétendre à les égaler ou imiter).

  • Début de l’aventure Le Son des Ombres

    Début de l’aventure Le Son des Ombres

    Bienvenue sur Le Son des Ombres !

    Aujourd’hui marque le début d’une nouvelle aventure et la fin de ma précédente, lancée en 2019 avec KayZen64.fr. À travers ce premier article, je vous propose un état des lieux de mes anciens projets ainsi qu’un tour d’horizon de ceux à venir.

    Quels changements à venir ?

    Comme annoncé sur sa page d’accueil, le site KayZen64.fr tire sa révérence après six années de loyaux services. C’est désormais Le Son des Ombres qui accueillera mes nouveaux projets, qu’il s’agisse d’articles ou de montages vidéo.

    KayZen64.fr et l’intégralité de son contenu resteront en ligne, mais l’adresse changera :

    • Jusqu’au 28/10/2025 : www.kayzen64.fr
    • Dès le 29/10/2025 : www.kayzen64.lesondesombres.fr

    Notez également que tous les sous-domaines de KayZen64.fr (p. ex. : www.site.kayzen64.fr) et toutes les adresse e-mail au domaine @kayzen64.fr ne seront plus supportés.

    Afin de correspondre à ce nouveau projet, ma chaîne YouTube cinéma ainsi que mes comptes Letterboxd et SensCritique, initialement nommés KayZen, deviennent Le Son des Ombres. Le contenu publié et la ligne éditoriale restent inchangés, il s’agit d’un simple changement de nom.

    Pourquoi changer de site ?

    Mon objectif principal est de dissocier mes projets de mon pseudonyme de joueur KayZen, sous lequel je ne me reconnais plus vraiment. Le Son des Ombres me semble être un nom à l’image bien plus sérieuse et représentative de ce qui me forge profondément : la musique (son) et le cinéma (ombres).

    Une fois ce nouveau nom adopté, il me paraissait logique de repartir de zéro en créant un nouveau site. Je souhaitais créer une rupture entre mes projets passés et ceux à venir. De plus, l’infrastructure de KayZen64.fr était bien trop bancale à cause de mes erreurs de débutant sur WordPress. Ce changement de site s’impose donc la solution parfaite pour rendre mes projets plus cohérents et vous offrir la meilleure expérience de lecture possible.

    Quels sont les articles à venir ?

    Dans un premier temps, je vous proposerai deux séries d’articles :

    • Dans mon baladeur pour la musique,
    • Rétrospective des ombres pour le cinéma.

    À chaque épisode, je reviendrai sur mes découvertes récentes, belles surprises comme déceptions.

    Évidemment, ces deux séries ne remplacent pas les formats que je proposais sur KayZen64.fr comme les critiques d’œuvres individuelles ou les bilans annuels de mes découvertes. Si je trouve le temps et l’inspiration pour les faire revenir, ils auront naturellement leur place sur Le Son des Ombres.

    Y’aura-t-il plus de vidéos YouTube ?

    Je compte alimenter la chaîne YouTube du Son des Ombres de manière plus régulière que les traditionnels montages-rétrospective annuels. J’ai déjà plusieurs idées en tête, mais je ne peux pas encore m’avancer sur le sujet.

    Pour l’heure, je consacre mes efforts au fameux Top 50 de mes films préférés que je prépare depuis maintenant cinq mois. Le chantier est bien avancé : la conception (choix des musiques, classement des films, structure du montage…) est achevée et il ne reste qu’environ 30% de montage à effectuer. Cependant, la quantité de travail s’étend bien au-delà du montage. Je prévois de construire d’autres choses autour de ce Top 50 pour en faire un évènement à suivre sur la durée. J’ai évidemment très hâte de vous en parler davantage une fois le moment venu !

    Où suivre Le Son des Ombres ?

    Chaque J’aime, partage et commentaire est sincèrement apprécié pour encourager mon activité. ♥


    J’espère que ce nouveau site vous plaira, et que vous serez présent pour les prochains articles !